Colloque Sciences Po Toulouse, 11-12 janvier 2021
Présentation :
L’histoire sociale et politique des luttes de l’immigration fait l’objet d’un intérêt académique renouvelé dans la littérature francophone. Les mobilisations des années 1970 et 1980, en particulier, ont retenu l’attention des historien-ne-s et des sociologues. Les publications sur diverses luttes de l’immigration postcoloniale (Abdallah, 2000 ; Boubeker et Hajjat, 2008 ; GISTI, 2014 ; Momméja, 2016), telles que les mobilisations d’ouvriers étrangers (Pitti, 2001 ; 2004), les grèves des loyers dans les foyers de travailleurs (Hmed, 2007), la marche pour l’égalité et contre le racisme, et ses mémoires (Hajjat, 2013 ; Hadj Belgacem et Nasri, 2018), les mobilisations contre les violences policières et les discriminations (Hajjat, 2005 ; Brahim, 2015), ou encore l’organisation de l’immigration et des quartiers populaires (Péchu, 1999 ; Taharount, 2017 [vol. 1] ; Collet, 2019) ont ainsi apporté des analyses socio-historiques détaillées sur les trajectoires et ressources militantes, ainsi que sur les contextes socio-économiques dans lesquelles ces mobilisations se déploient. Les travaux portant sur les mobilisations des années 1990, dans un contexte de plus en plus répressif de l’immigration et de cristallisation autour de la « sécurité » dans les quartiers populaires, ont également permis d’approfondir ces différentes pistes, en mettant en lumière les déplacements en termes de cadrage idéologique et de répertoires d’action, tout en évitant les caractérisations culturalistes et homogénéisantes des luttes immigrées (Siméant, 1998 ; Silverstein, 2004 ; Taharount, 2017 [vol. 2]). Enfin, les publications foisonnantes autour des révoltes de 2005 (pour en citer quelques-unes : Beaud et Masclet, 2006 ; Le Goaziou et Mucchielli, 2007 ; Cortéséro et Marlière, 2015 ; Mouvements, 2015), de même que l’étude des mouvements antiracistes des années 2000 et de ses reconfigurations actuelles (Celestine 2012 ; Laplanche-Servigne, 2014 ; Carrel et de Lépinay, 2016 ; Picot, 2016 ; Balazard et Rui, 2018), éclairent sous un nouveau jour les imbrications entre militantisme, quartiers populaires et conditions immigrées.
Cette littérature stimulante invite cependant à aller plus loin dans l’analyse des dimensions religieuses de ces mobilisations – dimensions qui ont jusqu’ici rarement été prises comme point central de la discussion (sur le prisme “religious blind” de certains travaux sociologiques en France, voir Amiraux, 2012 ; Béraud et al., 2018). Hormis les travaux pionniers d’Abdelmalek Sayad (2014) et quelques études consacrées aux liens entre syndicalisme, grèves ouvrières et pratiques religieuses dans les usines automobiles des années 1980 (Mouriaux et Wihtol de Wenden, 1987 ; Barou et al., 1995 ; Gay, 2015), ce n’est que récemment que des travaux ont commencé à s’intéresser de plus près à la place de la religion dans les mobilisations immigrées (Davidson, 2012 ; Piettre, 2013 ; Fuchs, 2016 ; Talpin et al., 2017 ; Karimi, 2018). La sociologie des militant-e-s s’est en effet historiquement concentrée sur leur trajectoire migratoire ou sur celles de leurs parents, évoquant brièvement le fait que certain-e-s font de leur religion un des marqueurs de leur mobilisation. Peu de place est dès lors accordée à la politisation d’engagements religieux, politisation pouvant rester discrète en fonction des offres des biens symboliques et politiques du moment (l’hégémonie des marqueurs marxisants dans les années 1970, par exemple, limitant l’expression publique de référents religieux). En approfondissant certaines pistes esquissées dans ces travaux, il s’agira ainsi d’examiner plus précisément l’articulation entre religions et causes immigrées en nous focalisant sur le cas de l’islam—religion de référence pour une large part des populations immigrées turques, maghrébines et africaines, et dont le traitement médiatique et politique puise ses racines dans l’histoire coloniale de la France.
Par effet de miroir, les chercheur-euses intéressé-e-s par les mobilisations d’acteurs à référents religieux ont rarement inscrit ces mobilisations dans l’espace plus large des luttes de l’immigration. Dans le cas de l’islam, les trajectoires des cadres religieux (Dirèche-Slimani et Le Houérou, 1998 ; Barbey 2007 ; Jouanneau, 2013), la mise en place d’un tissu associatif confessionnel (Césari, 1994 ; Timera, 1996 ; Pingaud, 2012), le déploiement d’actions collectives à référents islamiques (Haenni, 2006 ; Frégosi, 2009 ; de Galembert, 2009 ; Geisser et al., 2017), les interactions entre acteurs musulmans et autorités publiques (de Galembert, 2005, 2015 ; Frégosi, 2008 ; Donnet, 2014) et les mobilisations contre l’islamophobie (Kassir et Reitz, 2016 ; Asal in Talpin et al., 2017) sont autant d’objets d’étude permettant d’historiciser l’émergence d’un paysage associatif musulman en France à partir des années 1970. Pour autant, ces analyses socio-historiques, très riches, n’ont pas toujours pu retracer les connexions entre mouvements sociaux d’une part et associations musulmanes d’autre part, laissant parfois apparaître ces dernières comme un secteur autonome. Or dans quelle mesure les acteurs se référant à l’islam se mobilisent-ils simultanément dans plusieurs espaces (sociaux, politiques, culturels, cultuels) et sur plusieurs causes (quartiers populaires, luttes des sans-papiers, antiracisme, féminisme, altermondialisme, etc.) ? Peut-on considérer les associations musulmanes qui se mettent en place à partir de la fin des années 1970 comme des acteurs à part entière d’un champ plus vaste des causes immigrées ?
Ce colloque propose ainsi de penser le rôle des acteurs et actrices se définissant et/ou étant perçu-e-s comme musulman-e-s dans les luttes de l’immigration, et de réfléchir aux façons dont les références à l’islam sont construites, revendiquées, discréditées ou omises dans ces luttes. Sans chercher à imposer une lecture confessionnelle de ces mobilisations, il entend prendre au sérieux la plasticité du référentiel islamique dans les causes immigrées et ainsi interroger les frontières disciplinaires structurant la recherche sociologique entre études des mobilisations, des religions et des migrations.
9h45-10h – Introduction
10h-10h45 – Keynote : Timothy Peace (Université de Glasgow)
10h45-12h45 – Panel 1 Labellisations des mobilisations immigrées
Discutante : Narguesse Keyhani (Université Lyon II Lumière, Triangle)
14h15-16h15 – Panel 2 Articulations des luttes entre acteurs à référents islamiques et gauches
Discutante : Mathilde Pette (Université de Perpignan, CRESEM)
16h30-18h – Panel 3 Islams, trajectoires migratoires et engagements
Discutante : Juliette Galonnier (Sciences Po Paris)
10h-12h – Panel 4 Modes de politisation et de dépolitisation autour du référent religieux
Discutante : Solenne Jouanneau (Université de Strasbourg, SAGE)
13h30-15h30 – Panel 5 Dé-limiter le champ des luttes : réflexions à partir du Dictionnaire biographique du mouvement immigré (DBMI)
Avec la participation de Vincent Gay (Université Paris Diderot), Samir Hadj Belgacem (Université Jean Monnet), Foued Nasri (Université Jean Monnet)
Ce colloque est organisé avec le soutien de l’Institut Convergences Migrations (ICM), du Laboratoire de sciences sociales du politique (LaSSP) de Sciences Po Toulouse, et du Réseau thématique pluridisciplinaire« Islams et chercheurs dans la cité » (CNRS, IISMM).